Publié par : MarieMag | 28 Mai 2012

Carrés rouges et chant de casseroles, c’est le Printemps érable !

De petits carrés rouges épinglés sur des chemisiers transparents flottant sur la Croisette, les mots « printemps » et « érable » associés au journal de 20h, une symphonie de casseroles au crépuscule… Ami français, peut-être commences-tu à percevoir quelques éclats de voix teintés de l’irréductible accent québécois de ton coté de l’Atlantique. Ou peut-être pas. Pour sûr, l’information a pris son temps pour arriver jusqu’à vous. En tout cas, sache qu’ici, nous, on douille.
Mais de quoi diable suis-je donc en train de te parler ? De la révolution québécoise qui fait actuellement rage pardi, ou comme diraient nos chers potos journaleux, du Printemps érable.

Mais que se passe-t-il ?

Voilà maintenant plus de 100 jours que les étudiants de la Belle Province ont déserté les amphithéâtres et luttent avec acharnement contre le gouvernement en place. L’état de frénésie dans lequel le Canada patauge actuellement marque un tournant dans l’histoire du pays. La raison ? Le refus d’une hausse aberrante des frais de scolarité.  + 82% en 7 ans, soit 2168 à 3946 dollars canadiens. Outch.
Depuis février, les manifestations sont quotidiennes, les arrestations musclées légions, les coups de matraque assidus et vigoureux. La paix sociale est définitivement rompue. Et crois-moi, ce ne sont pas des termes utilisés à la légère. L’euphorie estivale laisse place à une inquiétude qui enfle à mesure que les heures s’écoulent. Et au train où vont les choses, la situation ne peut que s’envenimer.

Le CPE ? Une petite réunion Cgtiste à coté de ça

Jusqu’à présent, le Québec pouvait se targuer d’être une région où l’égalité des chances était une réalité, où étudier n’était pas un privilège mais un droit. Le droit le plus abordable du Canada de surcroît, puisque la province de Québec réclamait les frais de scolarité les moins élevés du pays entier. Un peu comme nous finalement (oui, je suis une fille optimiste), il misait sur une jeunesse éclairée pour porter l’avenir.
Assurément, l’affection séculaire pour les grandes études commence à s’étioler. Le besoin d’argent se fait ressentir. C’en est assez, il semble désormais temps pour les étudiants de se saigner aux quatre veines pour s’instruire, à la manière des contrées anglophones environnantes. L’hexagone en parle depuis un bail sans légiférer la chose par peur de réveiller une bête sauvage et incontrôlable. Le service public québécois ne s’embarrasse pas d’une quelconque opinion populaire. Après tout, ce ne sont pas d’insignifiants morveux shootés à la Marie-Jeanne qui vont dire comment qu’on fait la loi tabarnak.

Ambiance, ambiance…

S’il y a un truc qu’il faut bien comprendre, c’est que notre bonne vieille culture de la contestation n’a pas son pareil. Le Français moyen semble programmé pour pester, fulminer, se rebeller contre les institutions. En témoigne la réputation indécrottable de chieur-né qu’il se coltine à travers le monde. La voix du peuple gaulois aime à se faire entendre, tel un contre-pouvoir qui s’implique avec véhémence. Et l’Élysée de savoir gérer les situations de crise, à force de les vivre. Par chez nous, une foule docile est une foule agonisante.
En Amérique du Nord au contraire, le droit de grève connaît une crise idéologique depuis le XXème siècle. Il n’a en outre aucune protection constitutionnelle même s’il demeure explicitement protégé par le droit d’association et inscrit dans le Code du travail. En d’autres termes, il n’est que parcimonieusement utilisé comme moyen de pression.

Aujourd’hui, le pavet semble reprendre son droit d’être foulé pour une cause libertaire. Le 22 mars, soit près d’un mois après le début officiel de la révolution étudiante (car c’est bien de cela qu’il s’agit), Montréal connaît la plus dense manifestation de son histoire avec un cortège comptant approximativement 200 000 individus. Après moult pourparlers et autres demandes de retour au calme, les autorités réagissent, enfin, en acceptant la démission de la ministre de l’éducation Line Beauchamp. Et de promulguer une nouvelle loi, la loi 78, le 18 mai dernier. Celle qui dit que manifester, c’est mal, et que si ces enfoirés d’adulescents peace, shit & love ne rentrent pas leurs étendards braillards illico, les méchants viendront violer leurs femmes et égorger leurs nourrissons. En gros.

La loi spéciale, on s’en câlisse !

Plus sérieusement, ladite loi arrive vraiment à point nommé. La forêt brûle ? Amorcez les jets de propane, déversez le kérosène ! Pas besoin d’être diplômé de sciences po pour se rendre compte de l’absurdité de la situation. Le parlement a donc promulgué une loi limitant le droit de grève pendant la grève, instaurant d’inédits protocoles, promettant des amendes plus lourdes et des peines plus drastiques à quiconque défilant à des heures indues, insufflant in fine une vigueur nouvelle au mouvement.
Pour couronner le tout, la loi 78 suspend les sessions universitaires touchées par le  « boycott » jusqu’à la mi-août et interdit toute manifestation à moins de 150 mètres des lieux d’enseignement. C’est ce qu’on appelle donner envie de reprendre le cours de sa morne existence.

Voilà comment le Québec prend les choses. En rendant une actualité déjà catastrophique totalement ubuesque. A l’heure où je vous parle, des défilés joyeux s’organisent un peu partout. Armés de casseroles et d’ustensiles de cuisine, étudiants, enseignants, parents, enfants et simples badauds provoquent un joyeux tintamarre, défilent avec entrain sous nos fenêtres. A l’image des marches des « casseroles vides » chiliennes de 1972, les habitants montréalais manifestent leur mécontentement. en soutenant un acte de rébellion sans précédent qui, j’en suis sûre, marque le début d’une nouvelle ère dans l’histoire sociale d’un pays par beaucoup considéré comme discipliné. Le peuple se bat pour exister tel un seul corps. Et ces casseroles, ces carrés rouges, ce sont les tressaillements d’un cœur battant après une attaque.

PS: un gros merci à Tom Buzz, reporter au cœur de l’action, pour la photo d’illu 🙂


Réponses

  1. Bravo les Québécois, et merci Marie pour ce témoignage qui relate parfaitement ce qui se passe en ce moment au Québec. C’est un choix de société qui est en cause, et même si nos médias (aux mains des marchands de canons) font pratiquement l’impasse sur l’événement, je fais partie de ces milliers de Français qui applaudissent ces jeunes étudiants dont la détermination prouve qu’ils sont encore capables (eux) de descendre dans la rue pour autre chose qu’un match de Soccer…… (Je ne vise personne, suivez mon regard…)

    Certes, « Après tout, ce ne sont pas d’insignifiants morveux shootés à la Marie-Jeanne qui vont dire comment qu’on fait la loi tabarnak. » comme le pré-supposait volontiers dans « le devoir » l’ineffable Norman L… il y a quelques jours……Le nez dans le guidon de ses certitudes (qui datent d’un autre âge), il est tout simplement en train de passer à côté d’un phénomène majeur qui fera très probablement date dans l’histoire du Québec. C’est dommage pour un journaliste de renom.

    Le vieux grand-père que je suis devenu lui a envoyé de France depuis la Bretagne nord, le texte suivant :

    « Cher Monsieur L…

    Vous nous décevez….Dans « la société des poètes disparus », le professeur et conseillait à ses élèves de monter sur la table pour voir le monde sous un angle différent …. Ne pourriez-vous tenter d’en faire autant ?

    Réveillez vous, Monsieur L…, vos clichés sur les étudiants « assistés » auraient leur place dans « jurassik Park ».
    Tout en suivant des cours avec assiduité, la plupart d’entre eux travaillent dur pour payer leurs études, et peut on sérieusement les blâmer de ne pas vouloir se retrouver endettés de dizaines de milliers de dollars avant même de commencer leurs carrières tandis qu’on en aligne des millions dans des plans loin de faire l’unanimité ?

    À vous lire, il ne manquerait plus que d’imposer par la loi le port d’une étoile jaune sur les vêtements des étudiants grévistes (pas de chance, ils ont déjà choisi le carré rouge) et pourquoi ne pas organiser une déportation massive de leurs enseignants vers des camps de rééducation en abitibi – Témiscamingue ?

    Pour mémoire, sans la contestation populaire, la famille des Bourbons dirigerait encore la France avec pleins pouvoirs aux « fermiers généraux ».

    Question à un dollar : qui sont les fermiers généraux du Québec d’aujourd’hui ? »

    Amicalement,
    bonne continuation, Marie….. et « que la force soit avec vous ! »

  2. Merci pour votre soutien ! Ce noble combat n’a pas fini de nous surprendre, j’en suis sûre ! A bientôt


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